Comité Consultatif National d'Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé RAPPORT

LA STERILISATION ENVISAGEE COMME MODE DE CONTRACEPTION DEFINITIVE

L'avis du Comité Consultatif National d'Ethique a été sollicité à plusieurs
reprises par des praticiens désireux de voir plus largement débattues les questions
d'éthique et de déontologie médicale que soulèvent certaines demandes de
stérilisation. Ceux-ci expriment leur souci des conséquences, pour le corps médical et
paramédical, ainsi que pour les patient(e)s, d'une évolution dans les indications de
la stérilisation qui paraît se faire en contradiction évidente avec un cadre légal
restrictif. En particulier, certains anesthésistes vont jusqu'à refuser d'apporter leurs
soins lorsqu'ils estiment que l'intervention prévue n'est pas conforme à l'état du
droit: il leur a été récemment rappelé qu'en cas d'accident majeur, les compagnies
d'assurances pourraient ne pas rembourser les dommages et intérêts éventuels dans
un procès pour faute technique alléguée, si l'intervention chirurgicale devait être
jugée illicite.
En effet, il ressort de l'interprétation du droit français qu'est illégale toute
atteinte aux fonctions reproductrices d'une personne, non justifiée par une nécessité
thérapeutique et pour laquelle, sauf cas d'extrême urgence, le/la patient(e) n'a pas
donné son consentement. En dehors de ces cas, certains estiment qu'il existe des
raisons valables pour réaliser des stérilisations à visée exclusivement contraceptive
chez des personnes qui en ont exprimé la demande et qui, après information et
réflexion, prennent une décision libre et éclairée. Ce point de vue paraît aujourd'hui
renforcé par le fait que les progrès techniques des méthodes chirurgicales permettent
d'envisager, au prix d'une autre intervention, la réversibilité éventuelle d'une
stérilisation. Certains vont jusqu'à considérer que la stérilisation peut être traitée
comme une méthode de contraception parmi d'autres. Or, il est capital de savoir si
une intervention chirurgicale créant un état d'impossibilité anatomique de procréer
doit être envisagée comme un acte aboutissant à un état temporaire ou définitif de
stérilité, surtout pour la personne qui aura à donner son consentement à cette
intervention.
 
Dans cette optique, la stérilisation des personnes handicapées mentales
constitue un cas particulier: en effet, la demande de stérilisation contraceptive
émane presque toujours d'un tiers, ce qui soulève d'emblée la question de la validité
du consentement de la personne directement concernée. Les besoins des personnes
handicapées mentales en matière de contraception et l'opportunité éventuelle d'une
stérilisation posent des problèmes complexes qui ont déjà fait l'objet d'une analyse et
d'une réflexion spécifique du CCNE dans son avis n°49 du 3 avril 1996.
Une réponse aux problèmes soulevés par les saisines ne peut être apportée, le
cas échéant, que par le législateur. Le CCNE estime néanmoins remplir sa mission
en apportant au débat que les auteurs des diverses saisines appellent de leurs voeux,
une réflexion sur les problèmes proprement éthiques soulevés par la pratique
actuelle de la stérilisation. Cette réflexion fait l'objet du présent rapport.
CONTRACEPTION ET STERILISATION DANS LE MONDE ET EN FRANCE
Dans toutes les sociétés, des pratiques variées témoignent du souci intemporel
d'exercer un effet sur la fécondité; le souhait de favoriser ou de limiter les
conceptions et les naissances n'est donc pas une idée récente ou propre à notre
temps1 . Cependant, depuis le début de ce siècle, les recherches sur la fertilité, et en
particulier sur la régulation hormonale du cycle de fécondité chez la femme, ont
conduit à de nombreuses applications contraceptives, dont l'une des caractéristiques
principales est leur grande efficacité. Même des méthodes de contraception plus
anciennes et moins efficaces, souvent dites de barrière parce qu'elles visent à faire
obstacle à la fécondation, ont été perfectionnées. Les techniques de stérilisation
contraceptive, masculines et féminines datent également du début de ce siècle et ont
été depuis sensiblement améliorées pour que puisse être envisagée leur réversibilité.
C'est ainsi qu'aujourd'hui, les personnes qui ont une activité sexuelle et souhaitent
limiter leur fécondité disposent d'une importante gamme de moyens techniques.
Les préférences en matière de pratique contraceptive sont toutefois variables
d'un pays à l'autre, et même d'une région à l'autre dans un même pays. En effet,
toute méthode contraceptive est le produit d'une culture nationale ou locale et, à
chaque époque et dans chaque pays, la population privilégie les techniques qui lui
paraissent les mieux adaptées (ou dans certaines circonstances, s'adapte à celles qui
lui sont proposées ou imposées).
Selon les données publiées par les Nations Unies sur les pratiques
contraceptives2, la stérilisation féminine apparaît aujourd'hui comme la méthode
de contrôle de la fécondité la plus répandue dans le monde: dans l'ensemble, 17%
des femmes en couple et en âge de procréer (définies généralement comme étant les femmes âgées de 15 à 49 ans) ont été stérilisées pour des raisons médicales ou dans un but contraceptif. Si l'on tient compte uniquement des pays en voie de
développement, cette valeur s'élève à 20%. Dans certains de ces pays, la stérilisation féminine concerne un pourcentage très élevé de femmes (République Dominicaine, 39%; Corée, 35%; Chine, 34%). Dans beaucoup de pays africains en revanche, le pourcentage est négligeable - entre 1 et 2%: en effet, les moyens contraceptifs sont, de manière générale, peu répandus dans cette région du monde (ils ne concernent que 18% des hommes et des femmes en couple et en âge de procréer). Dans les pays développés, le pourcentage des femmes stérilisées en couple et en âge de procréer est de 8%, mais dans certains pays comme le Canada ou les Etats-Unis, la stérilisation concerne jusqu'à respectivement 31% et 23% de ces femmes.
La stérilisation masculine à but contraceptif est beaucoup moins répandue:
dans le monde, elle ne concerne que 5% des hommes, et l'écart dans les fréquences
entre les pays développés et en voie de développement est moins frappant (4% et 5%
respectivement). La stérilisation masculine apparaît toutefois mieux acceptée dans
des pays développés, tels que le Royaume Uni (16%), les Etats Unis (13%), le Canada
(13%) et l'Australie (10%). Quelques pays en voie de développement font état
également de moyennes plutôt élevées: la Corée (12%), la Chine (10%). C'est
d'ailleurs dans cette région du monde (Chine, Corée, et Hong Kong) que l'ensemble
des pratiques contraceptives est le plus largement diffusé (elles concernent jusqu'à
79% des hommes et des femmes en couple et en âge de procréer); les taux y sont
même supérieurs à ceux des pays occidentaux.
Dans certains pays, un élément déterminant dans la faveur accordée à la
stérilisation comme méthode de contraception est l'absence de contrainte pour
l'utilisateur, une fois la stérilisation effectuée, et son coût faible par rapport à
d'autres techniques de contrôle de la fécondité. La stérilisation est, en effet, un acte
unique aux effets définitifs et n'implique pas de prise en charge médicale suivie. Le
fait que, dans certains pays comme les Etats-Unis, la prise en charge par une
assurance maladie du coût de l'intervention ne soit pas généralisée peut influer sur
le choix dans un couple de recourir à la stérilisation de l'homme ou de la femme - la vasectomie étant, en effet, moins onéreuse.
L'efficacité et la permanence de la stérilisation en font le moyen par excellence
d'arrêter définitivement la fécondité : tel paraît être en tout cas le motif principal du
recours massif à la stérilisation au Canada et aux Etats-Unis, où la pilule ne joue un
rôle que dans l'espacement des naissances, jusqu'à ce que soit atteint le nombre
d'enfants souhaités3. Toutefois, dans de nombreux pays, y compris la France, les
préférences portent plutôt sur les méthodes réversibles (le stérilet et la pilule), y
compris comme contraception d'arrêt, surtout lorsque le suivi contraceptif est pris
en charge par une assurance maladie.
En France, la loi du 28 décembre 1967 autorise la fabrication et la vente des
contraceptifs (pilule, stérilet, préservatif). Ainsi, selon une enquête de l'INED
réalisée en 19944, parmi les douze millions de femmes âgées de 20 à 49 ans, 65%
avaient recours à une méthode de contraception. 32% des femmes n'étaient pas
concernées par la contraception: elles étaient enceintes, cherchaient à concevoir, ou
étaient stérilisées pour des motifs thérapeutiques ou contraceptifs. Seulement 3% des femmes n'utilisaient pas de méthode contraceptive et ne voulaient plus d'enfants.
Les choix de méthodes contraceptives des premières montrent une nette préférence
pour la contraception hormonale (pilule), 36,8%, suivi du dispositif intra-utérin
(stérilet), 16,1%. Les méthodes féminines locales (diaphragme, tampons spermicides,
etc.) sont rarement utilisées (0,6%). Certains couples préfèrent l'abstinence (4,1%), en
tenant compte éventuellement de méthodes d'observation du cycle de la femme
(variation de sa température ou de sa glaire cervicale); d'autres préfèrent l'utilisation par l'homme d'un préservatif (4,6%) ou du retrait (2,6%). Contrairement à d'autres pays développés, la stérilisation masculine - illégale, il est vrai, au vu de l'état du droit en France - est rarement pratiquée.
En effet, il n'y a pas de loi spécifique régissant la pratique de la stérilisation,
mais l'interprétation des textes généraux du droit pénal français amène à conclure
qu'une intervention aux conséquences stérilisantes n'est admise que dans le cadre
d'une nécessité thérapeutique. La stérilisation à visée exclusivement contraceptive
paraît alors en principe exclue (voir plus loin, la section sur l'état du droit en
France). Pourtant, d'après la même enquête, confirmée par des enquêtes auprès des
praticiens5, presque neuf cent mille femmes en âge de procréer (20 à 49 ans) sont
stérilisées pour des raisons médicales, mais aussi à la suite de demandes de nature
contraceptive. Le nombre annuel de stérilisations, toutes indications confondues, est
estimé à environ 30 000 (il y a 5000 gynécologues-obstétriciens en France).
Toutefois, la pratique de la stérilisation féminine est beaucoup moins
prévalente en France qu'ailleurs: toujours en 1994, la proportion des femmes
stérilisées, âgées de 20 à 49 ans est de 7,1% (tous motifs confondus). Une enquête plus
ancienne indique qu'en 1988, ce pourcentage était déjà de 7%. En chiffres absolus,
l'évolution du nombre de stérilisations paraît stable: le nombre de femmes
stérilisées âgées de 45 à 49 a augmenté depuis 1988, mais cette augmentation est
accompagnée d'une régression de la stérilisation chez les femmes âgées de 30 à 44
ans, la stérilisation des femmes jeunes (20 à 29) restant quasiment stable. On peut
faire l'hypothèse que la stérilisation, qui n'a jamais été très répandue, fait dans notre
culture l'objet d'une réticence, qui s'atténue quand approche la ménopause.
Les chiffres de l'enquête de 1994 montrent, en effet, que la stérilisation
concerne plutôt les femmes plus âgées. Rares sont les stérilisations pratiquées sur des femmes de moins de 35 ans: elles ne représentent que 0,5% des femmes âgées
respectivement de 20 à 24 et de 25 à 29 ans, ainsi que 1,5% des femmes âgées de 30 à
34 ans. En revanche, la proportion des femmes stérilisées augmente
considérablement au-delà de cette limite: elle double en passant de la tranche de 35- 39 ans (6,4%) à celle de 40-44 ans (12,7%), et à nouveau à celle de 45-49 ans (21,7%).
L'évolution de la pratique semble donc concerner principalement les femmes
plus âgées. Les chiffres reflètent, très certainement, le fait que les indications
médicales majeures s'appliquent le plus souvent à ces femmes. Mais on ne peut
éliminer l'hypothèse que les demandes de stérilisation contraceptive soient
également plus nombreuses parmi les femmes entre 35 et 49 ans. On peut
éventuellement déceler ici un effet de génération. Les femmes qui avaient 20 ans et
plus dans les années 70, ont eu accès à des techniques de contraception plus efficaces;
en s'approchant de la ménopause, elles sont éventuellement plus réceptives à l'idée
d'une stérilisation à visée contraceptive. Le nombre de stérilisations pratiquées chez
les femmes jeunes reste peu important et son évolution stable: ces stérilisations
correspondent probablement à des indications de nécessité thérapeutique, et
éventuellement à des stérilisations de personnes malades mentales ou handicapées mentales, dont l'indication pour nécessité thérapeutique paraît discutable.
 
 
 
ETAT DE LA PRATIQUE MEDICALE EN FRANCE
Les techniques
La stérilisation à visée contraceptive peut être masculine (vasectomie) ou
féminine (section, ligature ou obstruction par clips des trompes). Mais les conditions
de sa réalisation et les conséquences, au cas où la personne viendrait à regretter sa
décision de supprimer sa fécondité, sont différentes.
La vasectomie est une intervention chirurgicale simple et rapide qui se
pratique sous anesthésie locale; les techniques habituelles par occlusion des déférents ont un faible taux d'échec (de 0 à 2,2% de grossesses chez la femme après vasectomie du partenaire) 6. La réversibilité de l'intervention est possible, mais la technique microchirurgicale est beaucoup plus délicate et les résultats, souvent aléatoires. Bien évidemment, le succès de l'intervention dépend de sa réussite technique ainsi que de la présence du sperme dans l'éjaculat (les taux de succès rapportés dans les publications pouvant alors être relativement élévés, de 50 à 85%); mais à terme le succès renvoie à une grossesse évolutive chez la femme suivie d'une naissance (les taux de succès étant alors plus bas) 7. Il existe une possibilité de conserver la fertilité de l'homme (sous condition de recours à la procréation assistée) par une congélation préalable du sperme; encore une fois, la réussite de ce procédé n'est effective que lorsqu'il y a une naissance à terme.
La section, la ligature ou l'obstruction des trompes constitue une intervention
bien plus lourde qui nécessite une anesthésie générale; elle a un faible taux d'échec
(environ 1 pour cent de grossesses après l'intervention). La récupération des
capacités procréatrices impose, à nouveau, une intervention lourde par
microchirurgie avec anesthésie générale.
Un bilan récent de résultats de reperméabilisation tubaire dans un service
expérimenté8 fait état d'un taux de grossesses variant de 60 à 80% après deux ans -
chiffres comparables aux résultats d'études plus anciennes citées par l'auteur. L'âge
de la femme s'est révélée être le facteur le plus important dans le succès de
l'intervention, les chiffres les plus élévés concernant les femmes les plus jeunes.
Toutefois, d'autres facteurs étaient également importants, notamment la longueur
du tube restant après stérilisation et la méthode de stérilisation utilisée (l'obturation
par clippage offrant les meilleures chances de reperméabilisation). Il faut souligner
que ces résultats se rapportent au nombre de femmes effectivement opérées et non
pas au nombre de femmes ayant demandé une reperméabilisation: certaines femmes ont été exclues à la suite d'un examen préalable comprenant, également, la
recherche de facteurs d'infertilité éventuelle chez le partenaire.
En cas d'échec ou d'impossibilité de recourir à une réperméabilisation, il reste
théoriquement l'option d'une fécondation in vitro. Toutefois, les chances de donner
naissance à un enfant ne sont pas élevées et le sont d'autant moins que l'âge de la
femme est plus élévé. De plus, cette solution pourrait être interdite par une
interprétation de la loi du 29 juillet 1994, qui n'autorise l'assistance médicale à la
procréation que pour remédier à des cas d'infertilité "dont le caractère pathologique
a été médicalement diagnostiqué."
Il faut distinguer les techniques de stérilisation à visée contraceptive des actes
chirurgicaux aux conséquences stérilisantes (hystérectomie, endométrectomie,
castration) pratiqués pour un motif thérapeutique (par exemple, cancer de l'utérus,
des ovaires, ou des testicules; hémorragie cataclysmique de l'utérus). Ces actes
chirurgicaux relèvent du cadre déontologique habituel de la pratique médicale et ne
posent pas les mêmes problèmes que les stérilisations de première intention (voir
plus loin, la section sur l'état du droit en France).
Les principales indications
Dans l'état actuel de la pratique médicale en France, une visée exclusivement
contraceptive constitue rarement une indication valable de stérilisation chez un
homme ou chez une femme. Les indications généralement admises répondent à des
critères définissant une nécessité thérapeutique, voire des motifs médicaux sérieux,
ce qui, dans l'opinion de certains praticiens, va jusqu'à inclure des considérations
socio-psychologiques. Une probabilité élevée de transmettre une maladie héréditaire
à sa descendance est également admise par certains praticiens comme motif médical sérieux.
1 - Les indications médicales majeures
Ce sont des situations où la grossesse constitue un risque vital pour la femme:
situations obstétricales (par exemple, risques de rupture utérine, césariennes
répétées); situations chirurgicales (malformations utérines, cancers); situations
médicales (pathologies graves cardiaques ou métaboliques, hémopathies). Dans ces indications, une stérilisation à visée contraceptive pratiquée au cours d'une
intervention chirurgicale à l'insu des patientes constituerait une violation du code
de déontologie.
2 - Les indications et autres considérations relatives à la contraception
Certains gynécologues estiment qu'une stérilisation à visée contraceptive peut
se justifier d'un point de vue médical lorsqu'un certain nombre de conditions sont
réunies. La stérilisation se pratique le plus souvent sur la femme, mais dans un
certain nombre de cas, le mari ou compagnon se propose ou accepte de subir une
vasectomie.
Dans l'évaluation des demandes, entre un ensemble d'éléments: l'âge de la
femme, le nombre de grossesses et d'accouchements, l'âge du dernier enfant,
l'existence de pathologies mineures, l'intolérance à l'usage prolongé d'autres
procédés contraceptifs (pilule, stérilet), des antécédents d'interruptions volontaires de grossesse, ainsi que des éléments socio-psychologiques (conditions de vie, situation du couple). On cherche ainsi à tenir compte de l'évolution du
comportement des femmes, et plus généralement des couples, vis à vis de la
reproduction. En effet, dans l'ensemble de la population, les grossesses
interviennent de plus en plus tardivement dans la vie d'une femme. Ce fait est plus
accentué en milieu urbain: à Paris en 1980, 40% des grossesses sont survenues chez
des femmes de 30 ans et plus; en 1990 ce sont 50% des grossesses (20% survenant
chez des femmes de 35 ans et plus). Par ailleurs, si les tendances actuelles se
poursuivent, un tiers des mariages se termineront par un divorce; quant aux unions consensuelles, elles sont encore plus fragiles. Une nouvelle union peut conduire à souhaiter une naissance qui n'était pas envisagée quelques années plus tôt.
Les médecins qui acceptent de pratiquer des stérilisations contraceptives
suivent alors quelques règles de prudence:
- Une évaluation rigoureuse des critères médico-socio-psychologiques pouvant
conduire à envisager une stérilisation.
- Une information sur les méthodes de contraception ainsi que les contraintes et
les conséquences de la stérilisation.
- Un délai de réflexion de quelques mois, la femme (ou l'homme) et le couple
étant aidés par des conseillers qui tiennent compte des conditions de leur vie et
des conséquences psychologiques éventuelles d'une stérilisation.
- Un consentement écrit de la femme (ou de l'homme) concernée après un libre
choix informé.
Le Collège national des gynécologues-obstétriciens a édicté des
recommandations qui reflètent cette pratique.
Les demandes de reperméabilisation
Parfois, après avoir subi une stérilisation, une femme ou un homme
demande dans un deuxième temps une intervention réparatrice. On peut dans ces
cas penser que la décision de stérilisation a été trop hâtivement prise. Ces demandes interviennent notamment après le décès d'un ou de plusieurs enfants, quand une stérilisation a été pratiquée sur une femme ou un homme très jeune, ou encore en situation de changement de partenaire. Selon l'étude des résultats de
reperméabilisation tubaire citée ci-dessus9, les demandes émanent de femmes ayant
été stérilisées très jeunes, au cours d'une césarienne ou juste après un
accouchement; la plupart des demandes, jusqu'à 60%, étaient motivées par un
bouleversement de la vie conjugale.
L'existence de ce groupe de patients permet de poser la question de la
réversibilité de la technique. En effet, une stérilisation ne peut être considérée
comme réversible uniquement parce qu'il existe la possibilité de recourir à une
intervention réparatrice permettant d'aboutir à la reconstitution d'une anatomie
normale. La réversibilité n'est effective que lorsque l'intervention réparatrice est
suivie de grossesse et naissance. Cette précision est importante car, selon les
publications, le terme réversibilité renvoie à la demande de réperméabilisation, à la
reconstruction réussie d'une anatomie normale, ou au nombre de grossesses
constaté (nombre qui inclût les grossesses extra-utérines). Or seul le nombre
d'enfants nés vivants par rapport au nombre de demandes initiales de
réperméabilisation peut nous donner une estimation adéquate de la réversibilité de
la technique.
Dans l'ensemble, les conséquences socio-psychologiques à long terme de la
stérilisation sont encore peu connues: les études ne sont pas nombreuses et posent d'importantes difficultés méthodologiques. En effet, un récent bilan de la
littérature10 signale que la définition variable des paramètres étudiés (le regret, les
conséquences psychologiques et psychiatriques et les conséquences sur la vie
sexuelle) rend problématiques les comparaisons. Il indique toutefois que le regret,
peu fréquent (selon les études et la définition du regret, de 2 à 7%), affecte en priorité
les femmes stérilisées avant 30 ans. Les effets négatifs sur la sexualité seraient plutôt
rares. Les auteurs estiment néanmoins que des études à long terme sont nécessaires
dans la mesure où ces phénomènes pourraient s'amplifier avec le temps.
Le regret, étudié à partir des demandes de reperméabilisation, peut ne pas être
représentatif de l'ensemble du phénomène. Une enquête par téléphone auprès d'un
échantillon représentatif de femmes ayant subi une ligature des trompes au Québec11
révèle que ce phénomène peut revêtir diverses "couleurs et intensités", allant "de la
simple nostalgie passagère, ressentie par exemple au contact d'un nouveau-né,
jusqu'au regret aigu qui envahit toute l'existence et pousse à tout tenter pour
revivre l'expérience de la maternité". Si seulement 3,9% de ces femmes ont discuté
avec leur médecin de la possibilité de retrouver leur fertilité, 21,2% des femmes
disent avoir ressenti du regret sans l'avoir exprimé à leur médecin. Cependant,
seulement la moitié de celles-ci (12,7%) affirment qu'elles auraient vraiment essayé
d'avoir un autre enfant si elles avaient été encore fertiles. Cette enquête confirme, en tout cas, ce qui ressort de la littérature médicale sur la réversibilité: c'est avant tout l'âge précoce de la stérilisation qui est la variable fondamentale déterminant le regret, et ceci en dépit du fait que plus la stérilisation est précoce, plus elle concerne des femmes qui ont déjà plusieurs enfants. L'auteur conclut que c'est la "durée d'exposition au risque de regretter", c'est à dire le nombre d'années où les circonstances mouvantes de sa vie pourraient conduire une femme demeurée fertile à reconsidérer la possibilité d'une grossesse supplémentaire, qui se révèle déterminant.
ETAT DU DROIT EN FRANCE
Le mot "stérilisation" ne figure ni dans le Code civil ni dans le Code pénal. Il
convient donc de rechercher si cette technique peut être rattachée à une infraction ou être source de responsabilité.
1) En matière pénale
Que le sujet soit un homme ou une femme, il s'agit d'une atteinte au corps
par le biais d'interventions chirurgicales. Or toute atteinte au corps est prohibée et sanctionnée par la loi sous forme, entre autres, du délit de "violences entraînant une mutilation ou une infirmité permanente" (article 222-9 du Nouveau Code Pénal).
Certes, le médecin ou le chirurgien portent atteinte au corps, mais leur acte trouve sa justification dans sa finalité, qui est le rétablissement ou la prévention de la santé. Cette notion trouve maintenant, de façon beaucoup plus nette que naguère son expression dans l'article 16-3 introduit dans le Code civil par la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 : "Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité thérapeutique pour la personne. Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir."
Si l'on s'en tient à la lettre de ce texte, aucune difficulté n'apparaît quant à son
application à la stérilisation: elle n'est licite que si elle est médicalement nécessaire à celui ou à celle qui en est l'objet. Cette analyse avait été celle de la chambre
criminelle de la Cour de Cassation dans son arrêt du 1er juillet 1937: elle avait jugé
conforme à la loi une décision de la Cour d'appel de Bordeaux condamnant des
individus (non-médecins) qui avaient pratiqué sur trois hommes consentants une
vasectomie. Les juges d'appel avaient écrit : "c'est violer les règles régissant l'ordre
public que d'accomplir sciemment de telles lésions corporelles que ne justifie
impérieusement aucune nécessité médicale ou chirurgicale" et la Cour de Cassation :
"les prévenus ne pouvaient invoquer le consentement des opérés comme exclusif
de toute responsabilité pénale, ceux-ci n'ayant pu donner le droit de violer sur leurs
personnes les règles régissant l'ordre public". Il n'y a pas eu depuis lors d'autre
décision véritablement caractéristique en la matière. Est-ce à dire que celle-ci a suffi
pour faire respecter la loi pénale en ce domaine? Comme on sait que des
stérilisations se pratiquent de façon notable, il faut plutôt considérer soit que ceux ou celles qui en sont l'objet n'entendent pas s'en plaindre, soit que les interventions sont effectuées conformément à la loi. Sur ce dernier point, la plus grande difficulté tient dans la définition de la "nécessité thérapeutique" qui peut être invoquée soit quant aux conséquences physiques générales que provoquerait une grossesse, soit quant à celle de la grossesse proprement dite. Encore faut-il probablement distinguer les conséquences prévisibles des conséquences difficiles à prévoir et qui pourraient, par ailleurs, ne pas être considérées comme majeures.
A la nécessité thérapeutique physique, faut-il ajouter la nécessité thérapeutique psychique qui résulterait, par exemple, de l'état de détresse dans lequel une femme serait plongée en cas de grossesse? Certes, cela aurait pour effet d'éviter une interruption volontaire de grossesse. Mais on peut penser que la condition de nécessité thérapeutique ne serait pas satisfaite en raison du caractère conjectural du diagnostic de détresse en cas de grossesse future. Il faut également se demander si la loi serait respectée en cas de stérilisation par crainte de transmission d'une maladie génétique au futur enfant. S'agit-il encore de "nécessité thérapeutique pour la personne" ? L'interprétation en ce sens du texte serait exagérément extensive.
Si on s'en tient à cette analyse, on écarte la stérilisation en tant que simple
substitut de la contraception. Si le souhait exprimé par une femme ou par un
homme n'a d'autre fondement que la meilleure convenance ou la meilleure
commodité, le fait de se remettre à ce seul argument relève de la loi pénale.
L'existence d'une nécessité thérapeutique ne dispense pas le praticien de
recueillir auprès de la personne chez qui sera pratiquée l'intervention un
consentement libre et éclairé. Il est inacceptable et contraire aux principes et aux
textes qu'à l'occasion d'une opération et sauf urgence nécessitée pendant son cours,
il soit procédé à une stérilisation à l'insu du patient. Ce consentement qui ne saurait
être éludé doit comporter une dimension spécifique au regard de l'information qui
doit le précéder. Etre éclairé pour le patient signifie recevoir une information
concernant non seulement le but précis de l'intervention, ses modalités, ses
conséquences et ses risques, mais aussi les raisons tenant à la nécessité
thérapeutique. Aussi la complexité de cette manifestation de volonté rend-elle
souhaitable l'établissement d'un document écrit qui, sous cette forme, constituera
aussi une mise en garde à l'intention des praticiens.
2) En matière civile
En dehors de toute infraction pénale ou du moins de plainte tendant à la
répression d'une telle infraction, il peut y avoir préjudice de nature à ouvrir droit à
des dommages et intérêts si une personne a subi une stérilisation, hors cas
d'urgence, sans son consentement. A l'inverse, si une stérilisation a été demandée et
a échoué, elle peut donner lieu à réparation s'il y a faute du praticien, comme il est
habituel en matière médicale ou chirurgicale. Cependant même dans cette situation,
la vie elle-même de l'enfant ne saurait être considérée comme source de dommage.
C'est ce que stipule un arrêt du 9 mai 1983 de la Cour de Cassation: "la naissance
d'un enfant n'est pas en soi génératrice d'un préjudice". Il semble aussi que, dans
cette décision, la licéité de la stérilisation ait été admise de façon relativement
extensive, en décrivant comme il suit les motifs de l'intervention : "état de santé
précaire de la femme qui, âgée de 28 ans, avait déjà eu cinq grossesses et était
intolérante aux contraceptifs ordinaires". C'est ce qu'un auteur a qualifié
d'indication médico-sociale. En pareil cas, les dommages et intérêts se justifient par
la survenue de difficultés non seulement matérielles et de santé pour la mère mais
aussi d'ordre social et relationnel.
PROBLEMES POSES PAR LA PRATIQUE ACTUELLE
En résumant l'analyse qui précède, deux conditions définissent le cadre de la
pratique légitime de la stérilisation en France: une nécessité thérapeutique et le
consentement de la personne concernée par l'intervention. Ces deux exigences sont
des conditions nécessaires, mais aucune n'est à elle seule une condition suffisante.
Pour ce qui concerne l'exigence d'un consentement préalable, la seule dérogation
possible est une circonstance d'urgence extrême: c'est à dire la nécessité impérieuse
et imprévisible, au cours d'une intervention chirurgicale, de réaliser un acte aux
conséquences stérilisantes pour contrecarrer les effets d'une découverte ou d'une
péripétie opératoire grave, mettant la vie de la patiente en jeu (par exemple, une
hémorragie cataclysmique de l'utérus à l'occasion d'une césarienne et nécessitant
l'ablation de l'utérus). En effet, ces cas rarissimes renvoient uniquement à la
stérilisation féminine, les justifications pour une vasectomie d'urgence n'existant
pas. Le code de déontologie médicale de 1995 (Décret du 6 septembre 1995) rappelle
ces exigences, dans son article 41: "Aucune intervention mutilante ne peut être
pratiquée sans motif médical très sérieux et, sauf urgence ou impossibilité, sans
information de l'intéressé et sans son consentement." 
Pourtant, des actes de stérilisation sont parfois réalisés en France dans des
conditions qui prêtent à discussion au regard du droit actuel, soit à propos du
consentement, soit à propos de la gravité du motif médical.
Peuvent prêter à discussion à propos du consentement, les actes réalisés dans
les conditions suivantes:
1. Les stérilisations dites "à l'insu", dont on a naguère beaucoup abusé, qui
étaient notamment réalisées sur des femmes à l'occasion d'une deuxième ou d'une
troisième césarienne. Cette pratique est en diminution. Ces stérilisations peuvent
être médicalement indiquées, mais leur réalisation sans le consentement de la
patiente contrevient au droit.
2. Les stérilisations de fait auxquelles aboutissent certaines interventions
chirurgicales sur des femmes (par exemple, l'hystérectomie) dans le cadre d'une
indication thérapeutique précise. La patiente n'est pas toujours avertie avant
l'opération de ce risque ou de cette certitude; elle aurait pourtant le droit de refuser
cette intervention, une fois dûment informée des conséquences possibles d'un tel
refus. Une situation d'urgence extrême peut néanmoins survenir alors que la
patiente est sous anesthésie: cette situation rarissime constitue la seule exception à la règle du consentement informé. Jamais une stérilisation à visée contraceptive ne peut, comme telle, être retenue comme une indication d'urgence.
D'autres pratiques de stérilisation prêtent plus ou moins à discussion à propos
de la nature et de la gravité du motif allégué:
3. Les situations comportant une contre-indication de toute modalité
contraceptive hormonale et mécanique féminine: il s'agit de pathologies médicales
particulières (hépatopathies sévères, hypercoagulabilité, maladies thrombosantes...).
Certaines de ces pathologies impliquent d'ailleurs un risque maternel majeur du fait
d'une éventuelle grossesse. L'accord médical est à peu près unanime quant à la
possibilité de proposer dans de tels cas une stérilisation à visée contraceptive.
Certains gynécologues estiment, par ailleurs, qu'une stérilisation à but
contraceptif peut se justifier médicalement chez la femme ou chez l'homme dans
un couple, lorsqu'un certain nombre de conditions médico-sociales sont réunies: âge avancé de la femme, nombre élevé de grossesses et d'accouchements, difficulté à tolérer l'usage prolongé d'autres procédés contraceptifs (pilule, stérilet), antécédents d'interruptions volontaires de grossesse. Dans l'état actuel du droit, il n'est pas clair que de telles indications soient admises comme "nécessité thérapeutique" ou "motif médical très sérieux", et que la stérilisation du partenaire soit admissible dans la mesure où l'indication n'est pas fondée sur son état de santé.
4. Les stérilisations pratiquées sur la demande et avec le consentement de
l'homme ou de la femme, avec une finalité essentiellement contraceptive. Ces
stérilisations (dites volontaires) sont courantes dans d'autres pays; elles sont
envisagées comme moyen de résoudre un problème de contraception de manière
définitive. Comme telles, elles contreviennent au droit actuel.
Enfin, un type de situation prête à discussion, à la fois à propos du consentement et du motif:
5. Les stérilisations sollicitées par des tiers pour des personnes estimées
incapables d'élever des enfants, sans que les motivations des demandeurs puissent nécessairement être qualifiées d'eugéniques ou de punitives. Il s'agit le plus souvent de personnes handicapées mentales ou atteintes d'une pathologie psychiatrique, et en particulier de femmes, puisque le souci exprimé est celui de leur éviter des grossesses. Au sens strict, ces situations ne répondent pas à la condition d'une nécessité thérapeutique, puisque la stérilisation ne soigne en rien la déficience ou la maladie mentale. Ces stérilisations sont envisagées essentiellement comme un moyen contraceptif où est posée, de surcroît, la question de la capacité de ces personnes à donner un consentement libre et éclairé. Cette question a été traitée dans l'avis n°49 du CCNE sur la contraception chez les personnes handicapées mentales.
Pour mettre en perspective cette évolution des indications de la stérilisation
en France, il est nécessaire de rappeler que beaucoup de pays ayant légalisé l'accès à la
contraception et à l'avortement autorisent également la stérilisation volontaire à but
contraceptif. Cette dernière, nous l'avons vu, est même devenue aujourd'hui le
moyen de contrôle de la fécondité le plus utilisé de par le monde, et est largement
répandue dans les pays d'Amérique du Nord et dans certains pays d'Europe. Ce
phénomène est cependant accompagné, tout au moins dans ces derniers pays, par d'occasionnelles demandes de reperméabilisation.
Rappelons toutefois qu'au début du siècle, la stérilisation faisait partie d'une
panoplie plus large de mesures (ségrégation sexuelle en institutions, interdiction du mariage, contrôle de l'immigration) qui visaient à réduire le nombre de personnes considérées comme "socialement inaptes" dans la population. Ainsi, dans plusieurs pays européens et nord américains, des lois de stérilisation eugénique (stérilisation forcée ou à leur insu de personnes handicapées mentales, de malades mentaux, d'indigents) ont été votées. Certaines de ces lois comportaient des dipositions s'appliquant à des personnes incarcérées pour des infractions diverses, en particulier des délits et des crimes sexuels.
En France, à la même époque, la situation était radicalement différente: une
politique nataliste interdisait la promotion et l'usage de toutes les pratiques
permettant aux femmes de réduire volontairement leur descendance. En effet,
depuis la guerre de 1870, la taille de sa population constituait une préoccupation
sérieuse car, à la différence de ses voisins, notamment l'Allemagne et l'Angleterre,
la France n'avait pas connu une forte croissance démographique résultant de la
combinaison d'une baisse de la mortalité (due aux progrès de l'hygiène) et le
maintien d'un taux de natalité élevé. Au contraire, la baisse continue de la natalité
durant le XIXe siècle en France était suivie de pertes importantes de vies humaines
lors de la guerre de 1914-1918. Les pouvoirs publics ont de ce fait multiplié les
mesures favorisant la naissance d'une population nombreuse et en bonne santé
(entre autres, incitations financières aux familles nombreuses, lois relatives aux
conditions de travail des femmes enceintes et allaitantes...).
Déjà dans les années 30 mais surtout après la Seconde Guerre Mondiale, les
pratiques et les lois de stérilisation eugénique ont été fortement contestées. Elles
n'ont pas disparu pour autant: en novembre 1994, la Chine a adopté une loi de ce
type12. Par ailleurs, bien que la notion de stérilisation comme peine de justice tende à
disparaître, même aujourd'hui, aux Etats-Unis, la contraception hormonale de
longue durée fait partie des mesures punitives appliquées aux femmes incriminées
pour mauvais traitements à enfants13. Enfin, dans certains pays, les conditions dans
lesquelles sont pratiquées les stérilisations sont parfois hautement discutables.
Ces différences dans les situations et les pratiques, qui laissent transparaître
des manières diverses d'envisager l'acte de stérilisation, appellent un examen des
raisons de sa validité et de sa légitimité. Pour ceux qui ne condamnent pas d'emblée
tout acte de stérilisation, le jugement qui peut y être porté exige que soient mieux
connues et comprises les conditions dans lesquelles cet acte vient à être demandé et
accompli.
CONSIDERATIONS ETHIQUES
La spécificité de la question éthique soulevée par la stérilisation consiste dans
le fait qu'elle supprime une fonction qui ne peut être comprise comme étant
simplement physiologique. Certes, en tant que fonction biologique, la capacité de
procréer n'est pas indispensable à la survie de chaque individu, bien qu'elle le soit
pour la survie de l'espèce. Mais dans sa dimension anthropologique, la capacité de
procréer met en jeu pour chaque personne d'autres aspects, proprement humains,
de son existence: le sentiment d'être dans le monde par son corps et d'y avoir sa
place; la possibilité de s'exprimer comme être sexué et de nouer des relations
procréatrices avec autrui, de pouvoir s'inscrire dans une alliance et prolonger sa
lignée; la possibilité d'assumer dans un réseau de relations et sur un plan existentiel,
interpersonnel et social, toutes les conséquences de sa vie sexuelle. Ces enjeux
humains sont trop importants pour qu'aucune société n'ait laissé à la seule liberté
individuelle les conduites sexuelles et procréatrices. Des traditions morales et
religieuses, relayées par diverses formes de pression morale et sociale diffuses,
prescrivent certaines relations comme plus acceptables que d'autres pour procréer et élever des enfants. Dans les sociétés de droit, des règles juridiques interviennent également pour donner un cadre à ces conduites et déterminer la filiation. Ces différentes modalités de régulation morale, sociale et légale donnent place et sens à la capacité de procréer qui, du fait de tous ces aspects, ne peut se réduire à un processus biologique.
Or, la prolifération ces dernières décennies de différentes techniques médicales
rendant possible une indépendance relative de la procréation et de la sexualité,
mettent en question l'évidence de leur relation. Ce bouleversement des conditions
anthropologiques de la vie sexuelle et reproductrice, survenant dans un contexte de
croissance de la population mondiale, fait surgir des questions inédites sur la
responsabilité en matière de procréation et, de manière plus générale, sur les
morales sexuelles qui confinent la valeur de l'acte sexuel à sa finalité procréatrice. La
question de la stérilisation s'inscrit dans ce contexte, notamment sous les aspects
suivants:
1. Existe-t-il un droit de limiter, voire de supprimer ses capacités procréatrices ?
Toutes les familles philosophiques et spirituelles reconnaissent un droit à
l'exercice d'une capacité de procréer, ce qui n'implique pas - tout au moins dans
notre culture - une obligation morale de la réaliser (sans quoi, un choix comme le
voeu de chasteté serait moralement répréhensible). La reconnaissance de ce droit
exige que soit protégée la capacité de procréer, puisqu'elle contribue à la possibilité
pour chacun de fonder une famille, droit reconnu par la Déclaration Universelle des
Droits de l'Homme (article 16-1). Il y a néanmoins désaccord sur la dimension
négative du libre exercice de la capacité procréatrice: c'est à dire les limites
temporaires ou définitives (autres que celle de s'abstenir de l'acte sexuel) que les
personnes peuvent imposer à cette capacité.
On peut distinguer, dans notre société, diverses positions de principe sur un
droit de supprimer sa capacité de procréer:
- Pour certains, ce droit de la personne n'existe pas, car l'atteinte à la fonction
corporelle reproductrice dépasse l'exercice de l'usufruit du corps et constitue une
atteinte à l'inviolabilité et à la dignité de la personne. La personne elle-même doit
respecter les limites que lui impose la loi morale naturelle dans l'exercice de la
capacité de procréer.
- Pour d'autres, ce droit existe de façon absolue, comme corollaire au droit à
exercer librement sa capacité de procréer, et plus généralement comme liberté de
disposer de son corps, la propriété du corps étant un absolu. C'est à l'intéressé que
revient, en dernière instance, toute décision importante à l'égard de sa vie
sexuelle et reproductrice, y compris celles touchant à l'intégrité du corps. Tout
refus d'une demande libre et éclairée de stérilisation est inacceptable de ce point de vue.
- Enfin, pour d'autres, ce droit existe mais de façon conditionnelle, dans la
mesure où il revient à la collectivité de garantir la sauvegarde de l'exercice de la
capacité de procréer. Il faut alors que soient établies des conditions et des critères
limitatifs du droit de restreindre ou de supprimer ses capacités procréatrices, afin
de protéger les personnes contre des actes qui iraient à l'encontre de leurs intérêts.
Les limitations de ce droit doivent néanmoins êtres justifiées.
2. La stérilisation constitue-t-elle une "violence entraînant une mutilation ou
une infirmité permanente," une "atteinte à l'intégrité du corps humain"?
La réponse à cette question dépend en grande partie de la manière dont est
pensée la capacité de procréer, dans son rapport avec la sexualité et, de manière plus globale, avec une vision anthropologique, morale et juridique de la personne.
Le plus souvent, la stérilisation est considérée comme une mutilation dans la
mesure où elle constitue une atteinte corporelle anatomique qui rend la personne
incapable de se reproduire. Le mot mutilation suppose l'amputation d'un membre
ou d'un organe, ou le fait d'infliger une blessure grave qui altère l'intégrité physique
de l'individu. Diverses méthodes chirurgicales de stérilisation peuvent, de fait, être
caractérisées par l'un, l'autre ou les deux termes de cette définition de la mutilation:
l'hystérectomie relève de l'amputation; la vasectomie ou la ligature des trompes,
plutôt de la blessure grave. Les qualifications juridiques de mutilation et d'atteinte à
l'intégrité du corps apparaissent d'autant plus pertinentes que la technique de
stérilisation employée sera irréversible.
Toute activité chirurgicale peut, au vu de la définition donnée plus haut, être
qualifiée de mutilante. D'un point de vue juridique, elle n'échappe à la qualification
de "violences entraînant une mutilation ou une infirmité permanente" que par la
nécessité thérapeutique à laquelle elle répond. La question se pose alors de savoir si
un acte chirurgical stérilisant peut se justifier par un intérêt autre que thérapeutique,
et notamment par un intérêt déterminé par le seul patient.
On pourrait cependant définir l'atteinte à la capacité de procréer de manière
plus globale: celle-ci ne se limiterait pas à l'idée d'une mutilation, mais serait toute
interférence dans la capacité de chaque personne à nouer des relations procréatrices, y compris par atteinte à l'intégrité du corps. En effet, la capacité de procréer ne se réduisant pas à sa seule dimension physiologique, elle peut se définir plutôt comme une faculté humaine qui, ancrée dans le corps, est de nature relationnelle et permet aux personnes de dépasser la finitude de leur propre existence en perpétuant leur lignée. Or, en tant que faculté humaine, la capacité de procréer renvoie chacun à un droit de libre exercice mais également à un devoir d'exercice responsable. Des divergences peuvent néanmoins intervenir sur les conditions et les moyens estimés légitimes pour assurer l'exercice libre et responsable de cette capacité. Selon les situations et les regards divers portés sur elles, une stérilisation peut renvoyer tout aussi bien à une violence qu'à un acte responsable. Dans ces situations, il devient capital de déterminer qui peut, en dernière instance, prendre une décision.
3. La stérilisation peut-elle être envisagée comme un acte contraceptif
réversible?
Certaines techniques chirurgicales ont pour conséquence inévitable une
stérilisation irréversible (endométrectomie, hystérectomie, castration). Pour la
femme en particulier, ce sont même des actes irrémédiables: amputée d'organes
indispensables (utérus, ovaires), elle se voit privée du recours à tout mode de
reproduction. Des techniques plus récentes de stérilisation masculine et féminine ne font qu'altérer l'état des organes reproducteurs: la ligature des trompes ou des
déférents permet théoriquement une reperméabilisation ultérieure.
On s'est interrogé dans le passé sur l'altération qu'implique la contraception
hormonale à prise quotidienne ou de longue durée (mise au repos des ovaires) et
même le stérilet (inflammation mineure de l'utérus le rendant inapte à la nidation), dans la mesure où ils induisent, chimiquement ou mécaniquement, un état de stérilité. Or ces moyens n'ont pas pour objet de supprimer la fonction reproductive mais de la suspendre en la rendant temporairement inopérante; dans l'ensemble, elles ne visent pas un état de stérilité définitive et ne la provoquent
qu'accidentellement (tel que dans les complications infectieuses produites par le
stérilet). L'acte de stérilisation, en revanche, est un acte chirurgical dont le but exprès
et immédiat est de produire un état anatomique d'impossibilité de procréer. Même si certaines techniques récentes permettent d'envisager - mais sans assurance de succès - une restitution de l'état physiologique antérieur (reperméabilisation) ou une solution palliative (assistance médicale à la procréation), une décision et une nouvelle intervention chirurgicale différente est nécessaire pour y parvenir. Cette question technique constitue un élément capital dans la décision de consentir à une stérilisation: en effet, la personne concernée doit, dans la mesure du possible, tenir compte de sa probable réaction future à un événement imprévu, tel qu'un divorce, le décès de son partenaire ou de ses enfants, ou tout simplement le désir inattendu d'avoir un autre enfant, ce qui pourrait la conduire à regretter sa décision. Les médecins sont généralement eux-mêmes attentifs à ce problème et sont le plus souvent réticents à pratiquer des interventions stérilisantes sur des
personnes jeunes et n'ayant pas d'enfants.
La stérilisation se présente donc nécessairement comme un acte aux
implications et aux conséquences lourdes pour l'avenir procréateur de l'individu.
Quelles que soient les possibilités de rétablir la capacité procréatrice de la personne
stérilisée, il paraît préférable, pour la clarté de la réflexion et de l'information,
d'envisager la stérilisation comme acte de suppression définitive de la fertilité.
REFLEXIONS ET PROPOSITIONS
A l'issue de ces considérations, deux questions restent posées:
- Existe-t-il un droit de supprimer sa propre capacité procréatrice ? Si oui, est-ce
un droit absolu ou conditionnel ?
- Existe-t-il un droit de supprimer la capacité procréatrice d'autrui ? Si oui,
dans quelles situations et sous quelles conditions ?
Une interprétation courante des textes généraux du droit pénal français
restreint le cadre légitime de la pratique de la stérilisation aux interventions qui
repondent à deux exigences fondamentales: la nécessité thérapeutique de l'acte et le
consentement de la personne concernée. La seule dérogation possible à l'exigence
d'un consentement préalable est une situation imprévisible d'urgence extrême. On
peut toutefois se demander si les options morales qui sous-tendent ce cadre
juridique apparaissent toujours justes au regard de changements majeurs dans les
conditions anthropologiques de la procréation.
Modifier le cadre juridique de la pratique de la stérilisation en France relève
d'un choix politique, issu d'un débat démocratique. Le Comité Consultatif National
d'Ethique lui-même ne saurait trancher en la matière, mais il souhaite apporter sa
contribution au débat par des réflexions et propositions d'ordre éthique.
1. Réaffirmer sans ambiguïté le principe du consentement
Quel que soit le cadre légitime de la stérilisation en France, le CCNE estime
fondamental le principe éthique à la base de l'interprétation de l'état actuel du droit
français, qui exige un consentement libre et informé sur la procédure de stérilisation,
son irréversibilité variable selon les techniques, les risques d'échec d'autant plus
grands que la réversibilité est possible. Même lorsque ce sont des considérations d'ordre médical qui motivent l'intervention, elles ne dispensent pas le praticien de donner à son patient tous les éléments d'information nécessaires, lui permettant de faire un choix. Seule doit permettre de déroger à ce principe une situation d'urgence extrême, dont il faut rappeler qu'elle est très rare. Dans le cas des personnes considérées comme incapables de donner un consentement, l'avis n°49 du CCNE sur la contraception chez les personnes handicapées mentales énumère un certain nombre de conditions à remplir avant que ne puisse être envisagée par des tiers la possibilité d'une intervention stérilisante contraceptive:
- La définition du statut d'incapable de l'intéressé(e) doit faire l'objet d'une évaluation rigoureuse et multidisciplinaire. Il faut s'assurer que l'état et le
comportement de la personne supposée incapable ne sont pas susceptibles d'évoluer.
- L'intéressé(e) doit être potentiellement fertile, avoir une activité sexuelle, et
être âgé(e), à titre indicatif, d'au moins 20 ans. Dans tous les cas, un effort doit être
fait pour rechercher son avis.
- La stérilisation ne peut être envisagée que si la preuve est donnée que le
recours à toute autre forme de contraception est impraticable dans le cas de la
personne considérée. Dans cette hypothèse, c'est la technique de stérilisation
présentant les meilleures chances de réversibilité qui doit être utilisée.
Pour garantir les meilleures conditions d'évaluation et de prise de décision
dans chaque cas particulier, l'avis n°49 propose un certain nombre de démarches et de modalités de prise de décision:
- faire explorer la demande de l'intéressé(e) ou de l'entourage par d'autres
consultants que le médecin traitant;
- faire expliciter les raisons et justifications avancées par ceux qui font la
demande de stérilisation;
- prévoir, plutôt qu'une délégation d'autorité, une forme de prise de décision
collective avec des procédures extrêmement rigoureuses (et si nécessaire en cas de
conflit, une possibilité de recours à la justice), de manière à offrir le maximum de
garanties pour la défense des droits et intérêts des personnes incapables;
- s'assurer qu'un suivi de la personne est prévu, quelle que soit la méthode de
contraception finalement choisie et même après une stérilisation.
Des centres agréés en très petit nombre doivent seuls être habilités à pratiquer de
telles opérations, qui seront placées sous la responsabilité des micro-chirurgiens
considérés comme les plus compétents.
Dans son avis, le CCNE souligne l'importance qu'il accorde à une prise de
décision collective. En effet, l'évaluation d'une demande de stérilisation est une
tâche trop complexe et une responsabilité trop grave pour être confiée à une seule
personne. Cette évaluation relève de compétences et implique des responsabilités
telles qu'il paraît indispensable de faire intervenir, dans le cadre d'une commission,
des professionnels tout spécifiquement formés aux problèmes des personnes
handicapées mentales, dont des médecins, des juristes et des assistants sociaux.
L'indépendance de la commission par rapport aux familles ou aux tuteurs des
personnes handicapées mentales est également un impératif: on peut comprendre
que les demandeurs ne doivent pas être à la fois juge et partie.
L'avis du CCNE rappelle également que les interventions stérilisantes pour les
personnes incapables de consentir concernent le plus souvent les femmes
handicapées mentales, le souci étant celui de leur éviter des grossesses. Il faut
toutefois souligner que ces interventions ne protègent en rien les femmes
handicapées mentales contre des agressions sexuelles. Le problème des violences
perpétrées contre les personnes handicapées mentales dépasse le problème plus
limité de la contraception, et nécessite de ce fait une réponse distincte et adaptée, qui porte sur l'entourage et l'environnement des personnes handicapées mentales.
2. Reconsidérer les catégories et les critères employés pour justifier une
intervention stérilisante
La notion de nécessité thérapeutique, telle qu'elle est envisagée par la loi,
renvoie à l'idée d'indication médicale, c'est à dire à des critères justifiant une
intervention sur proposition médicale. La seule décision de justice portant sur le
bien-fondé d'une intervention stérilisante, le cas de Bordeaux de 1937, ne concernait
pas des médecins. D'autres décisions de justice, portant sur des questions de
responsabilité civile dans des cas de stérilisation, n'ont jamais mis en question la
licéité de l'acte. Cette jurisprudence semble, en effet, montrer qu'un certain nombre
de critères médicaux, et plus globalement des conditions pathologiques bien définies, répondent sans ambiguïté à la qualification de "nécessité thérapeutique". Ceci est moins clair en ce qui concerne des pathologies mineures, qui en aucune façon n'imposent le recours à une stérilisation chirurgicale.
La notion d'indication médicale ne semble pas convenir, en revanche, aux
demandes de stérilisation pour motifs contraceptifs (dites stérilisation volontaire), demandes qui proviennent le plus souvent des intéressé(e)s eux(elles)-mêmes.
- Tout d'abord, il n'existe aucun critère justifiant la constitution d'une
indication médicale de stérilisation masculine, sauf éventuellement la contre-
indication d'une future grossesse chez sa partenaire. Le recours à un
raisonnement en termes d'indication médicale pour justifier cette démarche
paraît discutable.
- Une stérilisation envisagée exclusivement comme moyen de résoudre
définitivement un problème de contraception ne répond qu'à la volonté du ou de
la patient(e) de ne pas ou de ne plus procréer, même lorsque cette volonté est
déterminée par le fait d'être porteur d'une maladie héréditaire ou transmissible et
donc par le souhait de ne pas transmettre cette affection à ses descendants. Le
recours à la notion de nécessité thérapeutique pour justifier une stérilisation dans
ce dernier cas aboutirait à la constitution d'une indication médicale de stérilisation eugénique.
La notion de nécessité thérapeutique ne semble pas non plus justifier la
stérilisation d'une personne estimée incapable de donner un consentement libre et éclairé. En l'absence des critères habituels d'indication médicale, la nécessité
thérapeutique renverrait à la déficience qui rend la personne incapable de consentir,
critère hautement discutable pour une indication médicale. Cette situation se
présente plutôt comme un cas particulier de la demande de stérilisation à visée
contraceptive: elle renvoie aux difficultés concernant la licéité de cette pratique,
rendues plus complexes par le fait que la demande exprime le plus souvent la
volonté d'un tiers.
Toute disposition légale relative à la stérilisation conduirait à poser la
question de savoir si la volonté de la personne de ne pas ou de ne plus procréer peut
constituer un motif valable pour supprimer ses capacités procréatrices. Ce point
appelle un débat de société.
3. Quels que soient les progrès obtenus en matière de réversibilité des techniques
chirurgicales, insister sur le caractère en principe irréversible de l'acte de stérilisation
En dépit de nouvelles techniques permettant d'envisager une bonne
probabilité de réversibilité de l'intervention stérilisante, ce qui distingue la
stérilisation de la contraception est la volonté d'aboutir, par un seul acte, à une
suppression définitive de la capacité de procréer. La réversibilité d'une technique de
stérilisation est une notion qui renvoie à une probabilité: même si la probabilité est
bonne pour une méthode spécifique, cette réversibilité ne peut être garantie pour
chaque personne individuellement. Il paraît alors souhaitable d'envisager toute
stérilisation comme un acte de suppression définitive de la capacité de procréer. Les doutes sur un état de stérilité définitif ou une attente explicite quant à la réversibilité peuvent dévoiler une ambivalence du demandeur et devraient plutôt inciter chirurgiens et patients à laisser mûrir la décision.
Cette irréversibilité de principe exige que soient prises, oralement et par écrit,
des précautions, pour s'assurer que la décision de l'intéressé(e) est non seulement
mûre mais parfaitement informée quant aux conséquences de l'intervention
(risques d'échec, réversibilité éventuelle et risques d'échec de cette intervention,
risques opératoires). Il est souhaitable de suggérer, voire d'imposer, un délai de
réflexion, qui accorde à la personne concernée le temps et la possibilité d'explorer,
avec d'autres consultants, les motifs et les justifications de sa demande.
4. Mettre en place des modalités de prise de décision compatibles avec le respect
d'un droit à l'exercice d'une capacité de procréer
Toutes les sociétés élaborent des règles morales et juridiques, relayées par des
formes de pression sociale diffuses, qui encadrent la liberté individuelle dans le
domaine de la procréation. Ces règles peuvent prescrire, entre autres, les modalités
de la formation du couple et les conduites sexuelles estimées acceptables; les règles
du droit déterminent la filiation et peuvent autoriser, en cas d'absence de descendance, certaines solutions alternatives socialement approuvées.
L'exercice de la capacité procréatrice dans notre société avait traditionnellement pour cadre moral, social et juridique le mariage. Le mariage reste aujourd'hui une exigence pour diverses familles spirituelles, mais ne fait plus l'unanimité dans notre société pluraliste comme seul cadre légitime de la procréation. Le droit actuel en France en témoigne, puisqu'en matière de filiation et autres dispositions juridiques afférentes aux conséquences de l'exercice de la capacité de procréer, il s'en est progressivement écarté. Une seule disposition récente paraît revenir quelque peu sur cette tendance : la loi du 29 juillet 1994, relative à l'assistance médicale à la procréation, qui y limite l'accès aux couples "mariés ou en mesure d'apporter la preuve d'une vie commune d'au moins deux ans..." (art. L.152-2 du code de la santé publique). Cette disposition répond au souci du législateur de garantir à l'enfant né dans ces circonstances une double filiation, maternelle et paternelle. Or l'intérêt de l'enfant n'intervient évidemment pas (sauf a contrario) dans le cas d'une demande de stérilisation. La réalisation de la capacité de procréer n'étant pas posée comme une obligation dans notre culture, rares sont ceux qui s'opposeraient à une stérilisation effectuée pour des raisons médicales. Par ailleurs, notre droit ne fait pas de l'incapacité de procréer une cause déterminante absolue de dissolution des unions.
Ainsi peut-on dire que dans le contexte social, moral et juridique actuel de notre
société, un consensus minimal existe sur le fait que la protection d'un droit à
l'exercice d'une capacité de procréer ne correspond ni à une obligation absolue de
réaliser cette capacité procréatrice, ni à une interdiction absolue de toute suppression de cette capacité. Toutefois ce droit à un libre exercice de la capacité de procréer n'est pas unanimement considéré comme un droit absolu de la personne, et encore moins comme un droit, absolu ou conditionnel, à limiter ou à supprimer sa capacité à procréer.
Même ceux qui défendent un droit absolu à utiliser tous les moyens
disponibles pour limiter ou supprimer cette capacité conviennent que l'acceptation
irréfléchie de toute demande de stérilisation aboutirait, dans certaines circonstances, à des actes de stérilisation abusive. Ces abus se profileraient tout d'abord dans les cas de demandes de stérilisation émanant de tiers pour des personnes estimées incapables de consentir. Même dans le cadre des demandes de stérilisation dite volontaire, des caractéristiques particulières de la vie sociale contemporaine, tel que l'abaissement de l'âge des premières relations sexuelles, l'âge de plus en plus tardif du mariage et de la première naissance, la fréquence des divorces et des remariages, avec désir de fonder une famille avec le nouveau conjoint, incitent à considérer avec une certaine prudence les conditions dans lesquelles une stérilisation peut être obtenue ou proposée.
Si, après débat sur ces questions, il devait être décidé de modifier le cadre légal
et réglementaire de manière à rendre licite la stérilisation en dehors d'un "motif
médical très sérieux", il resterait à décider des modalités à suivre pour prévenir les
actes de stérilisation trop hâtive ou abusive.
- L'une serait de spécifier des critères permettant l'accès à cette intervention
lorsqu'il n'y a pas de nécessité thérapeutique urgente: en effet, certains critères tels
que le fait d'avoir déjà procréé, d'avoir un certain âge ou un certain nombre
d'enfants, ou pour les nullipares, une ancienneté et persistance de la demande,
sont estimés par de nombreux praticiens comme des indicateurs fiables d'une
stérilisation qui sera par la suite bien assumée. Néanmoins, il reste à savoir
comment se justifie le choix de certains critères plutôt que d'autres, et qui fera ce
choix.
- Une autre modalité possible serait la mise en place d'une démarche ou d'un
cadre décisionnel, avec délai de réflexion. Des critères considérés importants,
comme ceux mentionnés ci-dessus, pourraient devenir les éléments à prendre en
considération et à mettre en discussion. Il resterait toutefois à décider qui, dans le
cadre de cette démarche, aurait à prendre la décision finale. Deux points de vue
s'expriment ici, qui renvoient à un débat de société: celui qui estime que
l'initiative d'un acte médical revient au médecin et celui qui, en revanche, estime
que dans le domaine de la procréation, hormis une contre-indication médicale à
l'intervention, elle revient à la personne directement concernée.
Une approche mixte est également possible: par exemple, la définition d'un cadre décisionnel, avec l'imposition de certaines limites (par exemple, interdiction de stériliser des mineurs).
5. Prévoir des procédures rigoureuses de règlement de conflits
Le médecin est-il obligé de répondre à toute demande de stérilisation
reconnue comme légitime dans un cadre juridique déterminé ? Le personnel
médical et paramédical peut-il refuser éventuellement de participer à une
intervention légalement admise ?
Pour certains, le refus de pratiquer des stérilisations (ou d'apporter sa
collaboration à cette pratique) peut correspondre à des problèmes de conscience,
relatifs à une orientation spirituelle ou philosophique personnelle. Le respect qui est dû à ces positions personnelles ne dispense pas, surtout les praticiens concernés, d'adresser à un autre praticien toute personne ayant une demande licite.
En revanche, ce refus peut correspondre à un problème de déontologie ou
d'éthique médicale, qui conduit le médecin (ou autre professionnel médical ou
paramédical) à douter du bien-fondé d'une intervention stérilisante dans certains
types de circonstances. Pour régler des cas de désaccord, voire de conflit, tout
particulièrement lorsque le principe du consentement est en jeu, il serait nécessaire
de prévoir une procédure rigoureuse de prise de décision qui explore le bien-fondé
de la demande et/ou du refus de pratiquer l'intervention (voir premier point sur le consentement).
CONCLUSIONS
Ce bilan des problèmes posés par la pratique de la stérilisation en France
conduit le CCNE à faire état d'une situation paradoxale: certaines personnes qui
souhaiteraient avoir accès à une stérilisation contraceptive rencontrent des
difficultés car l'état du droit leur interdit cette possibilité; en revanche, d'autres
personnes, souvent vulnérables, n'ont aucune demande de stérilisation, mais se la voient proposée dans des conditions discutables quant à leur consentement. Par
ailleurs, certains chirurgiens pratiquent des interventions aux conséquences
stérilisantes, qui répondent bien à la condition légale d'une nécessité thérapeutique,
sans respecter toujours l'exigence d'une information et d'un consentement
préalables. Le CCNE constate qu'un manque de clarté quant à l'état du droit en
vigueur se traduit dans la pratique par des conceptions divergentes de ce qui est
acceptable en matière de stérilisation. Il en conclut que cet état de fait appelle un
débat de société sur les situations dans lesquelles on peut estimer que la suppression de la capacité de procréer est moralement acceptable.
Plusieurs positions de principe distinctes peuvent être présentées par rapport à
cette question:
1. La première est que les textes du Code pénal limitent, à juste titre, les conditions
légitimant la pratique d'une stérilisation à la seule nécessité thérapeutique. Cette
position s'en tient au plus près du principe de l'inviolabilité du corps humain,
estimant qu'il s'applique de façon toute spécifique à la capacité de procréer, étant
donnée l'importance de cette faculté dans la vie intime, familiale et sociale et le
devenir des personnes. La suppression de cette capacité ne saurait simplement
relever, sans autre et grave motif, d'un droit de la personne. Dans cette optique, il
revient au droit positif de protéger au mieux les personnes contre toute atteinte à
l'exercice de cette capacité. Il n'y a aucune raison impérative, morale ou autre, de
modifier l'état actuel du droit.
La stérilisation n'est alors acceptable que lorsque celle-ci répond à une
nécessité thérapeutique ou à un motif médical très sérieux, et que la personne concernée a été informée des motifs et des risques de cette intervention et y a donné son consentement. Cette position de principe exclut toute demande de stérilisation motivée par la seule volonté de la personne concernée de supprimer sa fécondité. Par conséquent, dans son interprétation la plus stricte, elle interdit également les demandes de tiers de stérilisation à but contraceptif pour des personnes handicapées mentales ou malades mentales.
2. La seconde position est proche de la première, mais se montre plus sensible au
bien-fondé de certaines demandes de stérilisation théoriquement refusées par une interprétation stricte de l'état actuel du droit. Elle estime qu'un assouplissement pourrait être envisagé sans remettre en cause les fondements du principe de l'inviolabilité du corps humain, à laquelle elle accorde, tout comme la première position, une priorité. Une gamme d'exceptions motivées et encadrées pourrait être introduites, qui ferait une place restreinte aux demandes de stérilisation à but contraceptif fondées sur des justifications médicales, même mineures, surtout lorsque celles-ci sont assorties de certaines considérations sociales (âge de la femme, nombre d'enfants, situation socio-économique). Sur le plan pratique, cet assouplissement reposerait, soit sur une évolution de l'interprétation des textes du code pénal, soit sur une proposition de texte législatif spécifique, précisant les critères ou les situations dans lesquelles une stérilisation serait considérée légitime. Cette position maintenant, comme la première, la priorité de l'inviolabilité du corps sur celle d'un droit de la personne à la suppression de sa capacité de procréer, elle exclut les demandes de stérilisation à but contraceptif qui n'ont d'autre fondement que la volonté de la personne concernée de ne plus procréer. Elle n'autorise ce type de demande que si elle peut s'inscrire dans une logique régie par la notion d'indication médicale. Dans cette perspective, la légitimité des demandes par des tiers de stérilisation à visée contraceptive pour des personnes vulnérables n'est pas claire: l'extension donnée à la qualification juridique de nécessité thérapeutique renvoie nécessairement aux normes pratiques en vigueur dans la profession médicale.
3. La troisième position estime que l'état de la pratique actuelle reflète une
transformation des conditions anthropologiques de la procréation, qui conduit à
admettre comme moralement acceptable, non seulement les stérilisations pour
nécessité thérapeutique, mais également celles à but contraceptif, même lorsqu'elles
ne sont pas assorties d'une justification médicale. Dans cette perspective, c'est au
sujet moral qu'il revient d'assumer de manière libre mais aussi responsable ses
conduites sexuelles et leurs conséquences procréatrices. Ainsi cette position affirme que le droit de la personne au libre exercice de sa capacité de procréer inclut la possibilité légitime de limiter cette capacité, voire de la supprimer. Ce droit ne contrevient pas au principe de l'inviolabilité du corps, à la condition essentielle qu'il y ait information pertinente et délai de réflexion pour garantir une prise de décision libre et éclairée. Cette position implique à terme une modification législative: celle-ci devrait prévoir, par un texte spécifique portant sur la stérilisation à visée contraceptive, un cadre où les motifs (médicaux et/ou personnels) de chaque demande peuvent être explorés et les informations pertinentes dispensées, afin de protéger les personnes concernées d'une prise de décision irréfléchie. La licéité des demandes de stérilisation à visée exclusivement contraceptive rendrait recevables de telles demandes faites par des tiers pour des personnes estimées incapables de faire leur
propre choix contraceptif. Un texte législatif devrait alors prévoir des procédures d'évaluation et de décision rigoureuses (telles que celles proposées par le CCNE dans son avis n°49 sur la contraception pour les personnes handicapées mentales) pour assurer la protection des droits et des intérêts de ces personnes particulièrement vulnérables. La possibilité légalement reconnue pour un sujet de demander sa stérilisation pour un motif uniquement contraceptif pourrait également mettre en difficulté des praticiens qui, pour des raisons de conscience ou même pour des raisons médicales, estiment dans des circonstances précises devoir ne pas intervenir. Le texte législatif aurait alors à prévoir une clause de conscience assortie d'une obligation d'adresser le patient à un autre praticien, ainsi que des procédures de prises de décision en cas de conflit sur l'opportunité d'une stérilisation. Le CCNE estime qu'il ne relève pas de sa compétence de se prononcer en faveur de l'une ou l'autre de ces positions. Dans une démocratie, ce choix relève d'un débat de société qui, le cas échéant, ne peut être tranché que par le législateur.
Les membres du CCNE se sont cependant exprimés à titre personnel sur ces
positions: cet échange leur a permis d'examiner les conséquences prévisibles ou
escomptées de chacune d'elles. Il se dégage de cette discussion les réflexions
suivantes:
La première position se présente comme la position la plus protectrice contre
les stérilisations hâtives ou abusives. Cette protection est assurée par un droit qui
restreint fortement les libertés individuelles en matière de procréation, mais que
justifierait la sauvegarde du principe de l'inviolabilité du corps humain. Toutefois, en interdisant la stérilisation même dans des circonstances où elle pourrait se présenter comme une solution contraceptive adaptée et moralement légitime, cette position favorise la pratique de stérilisations illicites dans des conditions qui ne permettent pas d'aborder en toute rigueur les problèmes du consentement. C'est en toute vraisemblance ce qui se passe en France aujourd'hui.
La seconde position se présente comme moins restrictive que la première,
dans la mesure où elle admet une interprétation plus large de la dérogation pour
nécessité thérapeutique. Cette interprétation renvoie à la mise en oeuvre de la
notion d'indication dans le colloque singulier entre médecins et patients, ce qui
permet de mieux tenir compte des particularités de chaque cas individuel, mais qui
revient finalement à confier à la profession médicale l'élaboration des critères
justifiant une stérilisation. Cette démarche laisse alors bien plus incertaines les
limites du cadre légitime de la pratique, et tend à favoriser leur déplacement en
rapport avec l'évolution des normes pratiques. De plus, si la pratique courante
devait admettre une extension médico-sociale de la notion de nécessité
thérapeutique, des catégories médicales seraient parfois utilisées pour répondre à des problèmes d'une autre nature. Cela condu