Entre une table de mixage, un ordinateur et des étagères croulant sous les disques, un lit étroit émerge avec peine de la chambre de 6 m2. Dans le salon familial qui jouxte ce studio d'enregistrement miniature, devant une tasse de café aromatisé et un ramequin de bonbons acidulés, Ritchie, le fils de la maison, et Mahmoud, son ami d'enfance reçoivent. Vingt ans chacun, la tenue de rigueur - jeans baggy, tennis ouvertes et soupçon de gel dans les cheveux -, ils incarnent, en l'absence de leur acolyte Wissam, l'un des deux seuls groupes de rap jamais créés par de jeunes Arabes israéliens dans le pays.
MWR, acronyme de leurs prénoms, a quatre ans, une trentaine de chansons et une poignée de concerts donnés à Tel-Aviv, Jérusalem-Ouest ou Akko à son actif. "La plupart des groupes arabes chantent l'amour et les fleurs uniquement pour se faire de l'argent", résume méchamment Mahmoud. L'ambition des trois copains de MWR est ailleurs. "Nous sommes les nègres d'Israël, assène Ritchie calmement. Nous devons chanter notre souffrance dans notre langue." Leur public potentiel ? Le million d'Arabes israéliens, qui représente 20 % de la population du pays.
Leur première chanson, qui a rencontré un petit succès sur les ondes des radios arabes israéliennes, s'intitule sans équivoque Parce que tu es un Arabe. Sur le rythme haché du rap, elle décrit les discriminations quotidiennes dont souffrent les Arabes israéliens dans le pays. "Au lieu de jouer sur de vrais terrains de foot, on joue entre deux lampadaires, à l'école on étudie dans des classes froides aux fenêtres cassées (...). Où que tu ailles, on te demande tes papiers, pourquoi ne sommes-nous pas égaux ? Nous allons leur montrer, à ces fils de putes, que nous leur sommes supérieurs."
Gardant pour la scène l'emphase de leur texte, Ritchie et Mahmoud racontent aussi les banales vexations à l'entrée des boîtes de nuit ou dans la recherche d'un emploi. "Bien sûr, avec l'Intifada c'est pire, mais les discriminations s'aggravent d'année en année. On n'a pas les mêmes droits que les juifs. C'est tout, constate amèrement Mahmoud. Tant que sur ma carte d'identité il y aura mentionné "Arabe", je ne pourrai pas croire que je suis un citoyen comme les autres."
Décidés à exprimer leur frustration, les jeunes hommes voteront pour les partis arabes, dont ceux des députés sortants, Azmi Bishara et Ahmed Tibi, qui ont failli être écartés des élections du 28 janvier.
Particulièrement politisés, les rappeurs de MWR seraient, dans l'absolu, partants pour une "révolution". En réalité, ils chantent d'abord pour exprimer leur "colère" et leur "peine". "Je ne veux pas me faire exploser comme un kamikaze, mais j'ai besoin de faire exploser ma colère dans mes chansons", s'emporte Mahmoud, dont les yeux verts rieurs se voilent d'une tristesse fugace.
"Les juifs ont pris mon pays et ma liberté, et maintenant ils m'accusent d'être un terroriste", explique-t-il. "On chante pour réveiller les jeunes d'ici", assure plus sobrement Ritchie. "Continue à exiger tes droits, car le gouvernement nous ignorera tant que nous garderons les yeux fermés", exhorte une phrase de leur chanson fétiche.
Leur combat se situe clairement de ce côté-ci de la "ligne verte", la frontière de 1967 entre Israël et les territoires palestiniens. La solidarité avec les Palestiniens est "évidente", mais leurs racines sont ici. "Je ne pourrais jamais partir", confie Ritchie.
Un rien fanfaron, Mahmoud assure qu'il "irait bien vivre dans le futur Etat palestinien". Puis se ravise : "Au moins, j'irai voir ma famille à Tulkarem -en Cisjordanie-." Les bouclages de l'armée israélienne leur défendent pour l'heure de rencontrer les Palestiniens. Et ils n'ont même jamais songé à demander l'autorisation de passer un check-point pour se produire de "l'autre côté".
Tout leur répertoire n'est pas consacré à leurs rapports tendus avec le gouvernement israélien. Ils dénoncent aussi la drogue et ses dealers. Mahmoud met la dernière main à un texte sur la violence. "Nos concerts se terminent souvent en bagarre générale. On ne supporte pas cette agressivité." "Et pourquoi pas écrire une chanson d'amour pour nos mères ?", glisse Ritchie sous le regard ému de la sienne, présente au salon durant toute la discussion.
Sur le pas de la porte, Mahmoud, le musulman, tient à préciser : "Comprenez bien qu'on ne hait pas les juifs."A Akko, la coexistence est un mode de vie. Les parents de Ritchie et leurs quatre enfants, chrétiens, occupent le rez-de-chaussée d'une maison. A l'étage vivent deux familles juives.